Shelley relisait les quelques mots en boucle depuis que sa mère lui avait transmis la lettre de Priam. 10 ans qu’il était parti, 10 ans qu’elle n’avait eu aucune nouvelle. Et voilà qu’il envoyait une lettre, annonçant son retour et espérant qu’elle le lui pardonne. J’avais besoin de temps pour me chercher, disait-il. La sorcière leva les yeux au ciel devant cette excuse minable. Cependant, malgré toute la rage qu’elle conservait envers le jeune Stoker, elle ne pouvait s’empêcher de désirer se rendre au rendez-vous. C’était mal, elle allait sans doute en ressortir blessée. Mais elle avait envie de le revoir et surtout, de comprendre. Pourquoi ce silence, pourquoi toutes ces années ? Poussant un long soupir, elle écrasa le bout de sa cigarette sur le papier que lui avait envoyé Priam. C’était décidé, elle y allait. Après tout, le Chaudron Baveur n’était pas si loin de son appartement, elle pourrait toujours faire demi-tour si elle le désirait. Cigarette à la main, Nymphadora sortit de son petit appartement, attrapant au passage son sac.
D’un air mélancolique, elle arpenta le chemin de traverse, principalement en ruine. La guerre avait tout cassé, et tout n’avait pas encore été réparé. Cela avait beau renforcer le charme de la rue, Shelley n’était pas contre une allée propre et sûre. Mais elle n’était qu’une journaliste, et non une architecte ou ouvrière en bâtiment. Les mains dans les poches de son manteau, elle tenta de réfléchir à ce qu’elle pourrait dire à Priam une fois qu’elle le verrait. Elle avait imaginé ce moment depuis son départ, elle s’était fait tous les scénarios possibles : rage et colère étaient présentes dans certains, d’autres rimaient avec joies et rires. Mais comme le lui avait dit sa mère, l’avenir était incertain. Jamais elle n’aurait cru finir journaliste de la Gazette et encore moins fiancée à son rédacteur en chef. Jamais elle n’aurait cru revoir Priam et pourtant, il disait être de retour. Son père aussi avait eu raison : ils revenaient toujours. La sorcière finit par arriver devant le lieu où il lui avait fixé rendez-vous. Elle s’arrêta devant la porte, essayant de l’apercevoir à travers les vitres sales. Etait-il resté le même ? Ou avait-il changé du tout au tout ? Etait-il encore aussi beau que dans ses souvenirs ? Et surtout, était-elle encore amoureuse de lui ? Alors qu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, pensant que cela était une grosse bêtise et qu’elle était bien mieux sans lui, elle se surpris à ouvrir la porte du Chaudron Baveur et à pénétrer à l’intérieur. Alors que les regards se retournèrent sur elle, jolie demoiselle élégante n’ayant rien à faire dans ce genre d’endroit, elle balaya indifféremment la salle du regard. Et c’est là qu’elle le vit, assis à une table, l’attendant nerveusement. Oui, il était resté le même, oui il était toujours aussi bon, avec ses yeux jaunes et ses cheveux sombres. Et immédiatement, le cœur de Dora se mit à battre plus rapidement, manquant même quelques battements. Elle les maudit l’un comme l’autre, son cœur pour être si stupide, Priam pour être revenu. Après tout, pourquoi revenir maintenant ? Ils s’étaient séparés il y a longtemps, ils avaient fait leur vie chacun de leur côté. Pourquoi revenir, pourquoi venir foutre le bordel maintenant, alors que Shelley s’apprêtait à se marier et à réaliser ses rêves ?
Elle finit par s’approcher de lui, d’un pas lent. Elle n’en revenait toujours pas de le voir ici, sous ses yeux, en chair et en os. Certes, il avait vieilli, mais il était resté le même. Son bon vieux Priam, son meilleur ami à Poudlard. Celui sans qui elle ne serait pas la même aujourd’hui. Respirant un bon coup, elle franchit les derniers mètres qui les séparaient, se plantant face à lui. « C’était donc vrai. Tu es de retour. » lança-t-elle de sa voix sèche, attirant son attention par la même occasion..

L'endroit lui était venu comme une évidence. Là où, enfants, ils jouaient avec des cartes chocogrenouilles. Là où ils avaient échangé leurs premiers regards, quand bien même Priam prétendait les ignorer. Du temps où ils étaient adolescents, les questions d'Ambrose avaient fusé. Si les joues du serdaigles s'empourpraient à la mention seule du prénom de Nymphadora, toujours il gardait le silence. Il avait vu ce que l'affection pouvait faire à deux âmes. La folie qui avait gagné sa mère, son père qui finissait à présent ses jours à Azkaban. Il avait eu peur de répéter l'erreur de Samael en invitant la jolie Bexborough à le rejoindre à un moment pivotal de sa vie. La peur, le mot était parfaitement bien choisi pour décrire le sentiment qui l'habitait. Lui-même ignorait où ses périples autour du monde allaient le conduire. Il ignorait s'il parviendrait à éviter la magie noire encore longtemps, tout comme il ignorait s'il ne mettrait pas en danger une sorcière à laquelle il tenait plus que tout au monde. Ces dix années de silence lui avaient permis d'acquérir un élément précieux, une partie intégrante des Droits du Sorcier: une confiance en son jugement, ainsi qu'en ses valeurs. Une capacité de s'exprimer haut et fort, sans en craindre les conséquences. Si le cadet des Stoker était doté d'une intelligence remarquable, il lui manquait ce qui caractérisait la lionne ; l'audacité de croire en ses propres idées, le courage d'affirmer ses convictions. Il trouva sa vocation en Amérique du Sud, et c'est aussi là-bas qu'il reconnut enfin son progressisme. Un miracle pour l'enfant qui préférait autrefois se murer dans un silence de mort, plutôt que de répondre à ses opresseurs.

Rédiger une lettre à la jeune femme lui demanda un effort inespéré. Il lui fallut tout d'abord s'excuser, reconnaître qu'il avait baffoué ses sentiments. Les relations entretenues au Chili lui firent réaliser à quel point il aurait voulu connaître la petite britannique sous un autre jour. L'entraîner avec lui sur les sentiers inexplorés de la magicobiologie, loin de la politique... et des choix. Sa disparition fut pourtant un des choix les plus décisifs de son existence. En éloignant de sa meilleure amie, il renonça à une partie de lui-même, qu'il rangea dans un tirroir jusqu'à leurs retrouvailles.

Il avait commandé deux bières-au-beurre parfumées au chocolat, la boisson favorite de la demoiselle, -du moins dans ses souvenirs. Ce lieu le ramenait à des temps heureux : à l'innocence apparente d'une vie perdue. Les sentiments, eux, demeuraient inchangés. Au moment même où il la vit entrer dans l'établissement son coeur se mit à battre la chamade. Elle avait grandi, tout comme lui. C'était une femme à présent, une beauté qui suffit à lui couper le souffle. S'il savait que s'il s'approchait d'un peu trop près, la sorcière brûlerait ses ailes d'Ycare. Il s'apprêtait à se lever pour l'accueuillir, mais un jeune vint le couper dans son élan. Ses dix-sept thèses sur les dragons des Andes avaient été transmises de main en main par la population sorcière, faisant de lui une célébrité locale. L'enfant aux cheveux de feu avait un calepin à la main, et lui demanda en le lui tendant: « Docteur Stoker, c'est vrai que vous êtes monté à dos de dragon? Est-ce que je peux avoir un autographe? » Les joues de Priam s'empourprèrent, il avait encore du mal à accepter l'attention que lui procuraient ses travaux. Il lança un regard gêné à Dora avant de s'adresser au rouquin: « Oui, c'est vrai. Les dragons sont des créatures particulièrement fourbes, mais si tu apprends à les dompter ils peuvent faire beaucoup. Étudie-les bien, lorsque tu iras à Poudlard. » Il signa rapidement une page de son carnet avant de le renvoyer vers ses parents, qui n'avaient cessé de le fixer depuis son entrée au Chaudron Baveur. Son attention se porta à nouveau sur la froide et mystérieuse née-moldue. L'expression crispée sur son visage ne fit que s'adoucir en la contemplant. Il en oubliait presque ses bonnes manières. « Sh... Shelley. » Le prénom avait jaillit de ses lèvres comme un murmure. Il se souvenait encore du jour où il lui avait promis de ne l'appeler que par son prénom moldu. Le premier, le vrai. Sourire béat pendu aux lèvres, il ne savait trop comment réagir. Ils avaient tant à rattraper, plus encore qu'il ne l'imaginait. « J'ai bien cru que tu ne viendrais pas. Tu m'as manqué, Bex. » La commissure de ses lèvres s'élargit, et il se perdit un instant dans ses yeux de biche. Une seconde. Deux secondes. Trois... Priam reprit rapidement ses esprits, et il lui tendit son verre. C'était comme si le temps ne s'était pas écoulé depuis leur dernière rencontre. « Le Ministère m'a muté à Londres, j'ignore encore combien de temps je vais y rester. » Ses joues étaient empourprées, l'éternel voyageur avait honte de lui avouer qu'il ignorait toujours de quoi l'avenir serait fait. « Et toi, que deviens-tu ? Et comment vont tes parents ? » Fouillant dans sa poche, il sortit un petit paquet de lettres, et le posa sur la table. Toutes celles qu'il n'avait jamais envoyées.

Priam repensait à son enfance auprès de Nymphadora. La retrouver en ce lieu chargé de souvenirs le ramenait à leur passé commun, à Poudlard. Ils étaient alors si jeunes, si ignorants de toutes les aventures qui les attendaient. Pourtant Merlain sait qu'ils avaient vécu bien des choses ensemble, à l'école de ma gie. Il y avait Dora, Deirdre et Ambrose. Le club des quatre, invariablement réunis après chaque voyage dans le Poudlard Express.  Stoker se souvenait les entendre le récit de leurs étés, tandis qu'il gardait respecteueusement le silence. Si on lui parlaient de plages et d'éclaboussures sur un numéro de Sorcière Hebdo, son été à lui se composait d'initiations morbides et de conflits familiaux -détails qu'il préfèrait épargner à ses camarades et amis. La crainte du regard des autres était aussi forte que celle qu'il éprouvait envers son mage noir de père. Chaque été Priam était terrorisé à l'idée de devoir rentrer au manoir, et c'est d'ailleurs Nymphadora qui s'en aperçut tout d'abord. Priam ne voulait pas se rendre à Godric's Hollow, et retrouver l'étrange atmosphère qui y régnait. Rester auprès de son frère ne l'incommodait pas, c'était surtout Samael et Nyx qui l'effrayaient. Aussi le jour où Dora lui proposa de rester chez elle quelques jours, Priam bondit d'une joie inhabituelle. Cette même joie qui enveloppait son coeur le jour où il quitta l'Angleterre, accompagnée d'un parfum de liberté et d'audace. Ceci étant dit, Nymphadora avait été bien plus qu'un échappatoire pour l'ancien serdaigle. Lorsqu'il était auprès d'elle son pouls était plus soutenu, et ses yeux ne pouvaient s'en détacher. Les symptômes étaient toujours les mêmes, dix ans plus tard.

Il eut les joues empourprées durant quelques secondes, la contemplant avec un sourire timide, comme s'il avait honte de ses pensées, honte de ses sentiments pour la sorcière, qui n'était visiblement plus une enfant. « Bien sûr, je n'aurais jamais pu l'oublier. Je n'aurais pas pu t'oublier, toi. » dit-il en prenant une gorgée de bière-au-beurre. La remarque qui suivit était à prévoir, mais elle ne manqua pas de lui arracher un soupir. « Je ne sais pas encore, j'aimerais rester un temps, profiter de ta présence, et celle de mon parrain. L'Angleterre ne m'intéresse plus, cependant. » Il déposa sa pinte sur la table. « J'aimerais beaucoup aller en Inde, d'après ce que j'ai entendu les espèces y sont fascinantes. On m'a parlé de tigres ailés. Et toi, est-ce que tu as quitté Londres pendant un moment ? » Un silence. Il s'apprêtait à répondre à la question suivante, lorsqu'il aperçu un anneau à son doigt. Il évita son regard, interdit. « Tu... Tu es f... fiancée ? » Le mot avait roulé sur sa langue, et lui avait coupé le souffle. Son teint blafard vira soudain au rouge écarlate. « Ce ne sont que de vieilles lettres que je t'ai écrites, elles n'ont aucune importance tu peux dors et déjà les brûler. » Il se leva et prit la direction de la porte. « Tu m'excuseras, j'ai besoin d'air. » Etrange réaction pour celui qui avait fermé une porte sur son passé. Lui-même ne comprenait pas pourquoi cette maudite bague avait mis dans un tel état.