~ ◊ ~
desolation comes upon the sky

L'allée des Embrumes n'a jamais été une rue très appréciée de Scorpius. Elle ressasse beaucoup de parties de l'histoire de son nom de famille qu'il préférerait enterrer sous une épaisse couche de brume, afin de se voiler les yeux face à ces réalités atténuées. Et pourtant, il en a pleinement conscience ; tout ce que son père, accompagné de son propre père, soit le grand-père de Scorpius, a construit, a détruit, pendant sa jeunesse, restera gravé à jamais sur l'épave de ces lettres, sur ce qu'il reste des Malefoy. Cette période les a forgés, les a changés. Et si Drago a su devenir un homme meilleur, un homme d'honneur, a su se racheter, une peur réside constamment dans l'esprit de Scorpius (une parmi toutes les autres, parmi toutes ces monstruosités qui fondent ses cauchemars et alimentent les démons qui s'agitent dans son esprit), la peur de l'échec, de la soumission à la noirceur, la délivrance des Ténèbres. Scorpius ne veut pas se laisser embarquer, de la même manière que son père, dans des chemins sombres, bien trop sombres pour son cœur épuré, bien malgré tout. Pour son esprit clair, son caractère pur, entier, sincère. Parce que Scorpius est, et a toujours veillé à être, un homme vrai. Sans artifices. Sans mensonges. Même si cette façade, ces murs qu'il a forgé, semblent tomber en ruines ces derniers temps, alors que l'apparence d'une vie paisible, d'un esprit équilibré, cache en réalité une existence au bord de la chute. Un état dépressif qu'il n'ose pas avoué, qu'il refuse de voir, qu'il combat, ses poings pour uniques armes. Raison de plus pour laquelle Scorpius ne se rend que très rarement sur l'allée des Embrumes. Reflet de sombres humeurs, l'allée des Embrumes apparait comme une dépendance impossible à vaincre, un piège à rats, une cage de fauves. S'y aventurer revient à s'avouer submergé par le Mal. Rongé par le Diable.

Seulement, l'allée des Embrumes revient son dernier espoir de retrouver Hestia. Scorpius a fait une erreur. Sûrement une des plus grosses de sa vie, qui lui coûtera certainement une amie. Sa loyauté en prend un coup. Quelques verres d'alcool ont suffi à faire déraper les choses, ce jour-là, alors qu'entrainer par quelques collègues qu'il a retrouvé au Chaudron Baveur, Scorpius s'est vu entrainer jusque dans les profondeurs du gouffre de cette maudite rue, de cette maudite allée. La couronne brisée lui a tendu la main alors que cédant à la tentation, l'idée d'y retrouver la jeune Diggory, alors vêtue d'une tenue trop courte, trop vulgaire, qui ne lui correspond pas, prête à répondre à toutes les demandes les plus intimes de nouveaux clients, ne lui a pas une seule seconde traversé l'esprit. Et pourtant, et pourtant, c'est bel et bien avec surprise que ses yeux se sont gonflés d'excitation lorsqu'il a découvert le corps à moitié dénudé de son amie, paralysée face à lui, mais trop ivre pour s'en apercevoir, Scorpius, soudainement entichée de la belle, n'a plus que pensé à la retrouver au détour d'une chambre. Se noyer dans ses bras, dans ses formes. Pouvoir caresser la courbe de ses seins ronds, de son dos cambré. Oublier littéralement Rose Weasley en se perdant dans l'immoralité du fait de payer une femme, qui plus est sa propre amie, dans un lieu où la misère entoure chaque individu en ayant franchi le seuil de la porte.
Elle l'a repoussé.
Tellement fort qu'il a essayé d'insister.
Tellement fort que, aveuglée de colère, il a pensé qu'elle n'avait pas le droit, qu'elle ne pouvait pas. Que c'est son métier, après tout. Sa nouvelle occupation, qu'elle a tant pris soin de lui caché. Jamais Scorpius n'a pensé de pareilles choses d'Hestia. Son amie.

Il regrette. Il regrette tellement. Désireux de s'excuser, de s'expliquer peut-être, sans réellement savoir comment il pourrait se justifier, Scorpius cherche désespéramment, par tous les moyens, de contacter la brune. N'habitant qu'à quelques paliers de son appartement, il a déjà essayé de toquer à sa porte, en vain. Lui écrire ou l'appeler est inutile. Et s'il parvient, par pur hasard, à la croiser dans la rue, elle semble disparaître en une seconde à peine. Scorpius en est arrivé à une triste conclusion ; Hestia l'évite, certainement rongé par la honte, au moins autant que lui. Elle ne veut plus lui parler, plus le voir, plus l'écouter se confier. Certainement cherche-t-elle à l'exclure entièrement de sa vie. Scorpius ne peut pas se résoudre à cette idée. Son éternelle loyauté l'en empêche.
Il a merdé, putain, qu'est-ce qu'il a merdé.
Il pense à Rose, aussi. Les conséquences que pourraient avoir cette regrettable soirée si jamais la rousse l'apprend un jour. Si jamais elle apprend un jour que Scorpius s'est rendu dans un bordel à peine trois mois après leur rupture, totalement saoul, cherchant à vendre son chagrin à n'importe quelle femme qui serait susceptible de lui acheter. Et qu'en plus, il a cherché à coucher avec son amie, leur amie.
Il a merdé. C'est ce qui l'amène aujourd'hui, aux alentours de vingt heures, dans l'allée des Embrumes, marchant doucement, le regard observateur, vers la couronne brisée. Il n'a pas l'intention d'entrer, même s'il ne retrouve pas Hestia. Il n'a vraiment pas l'intention de remettre un jour les pieds dans cet endroit. Les visages défilent sous ses yeux, et le regardent un peu perplexe (sûrement encore l'effet de son patronyme, bien connu de la population sorcière). Il n'a même plus honte d'être là. Il veut simplement retrouver Hestia. Et, soudain, il l'aperçoit. Il pourrait reconnaitre sa silhouette (qu'il a, à son plus grand regret, déjà bien trop détaillée) entre mille. Electrifié sur place, il reste immobile un instant, hésite quelques secondes, puis s'élance soudainement, ne se souciant guère des personnes qu'il bouscule pour atteindre la jeune femme. « Hestia ! » Cri de détresse qui se perd dans l'air frais de Novembre ; Scorpius se sent ridicule. Ridicule d'avoir à s'excuser d'une pareille chose. Ridicule d'en être arrivé à se point, d'être tombé aussi bas. Il semble se rendre compte de son état. Qu'il n'est plus qu'un con. Un pauvre con. Pauvre, littéralement, puisqu'il a perdu toute richesse humaine et sentimentale. Puisqu'il ne ressent plus rien, ne cherche plus à ressentir des émotions. Scorpius se contente de vivre, de répondre à ses besoins vitaux, parfois un peu secoué par son humanité, qui lui rappelle ce qu'il est, ce qu'il a été. Qu'il se doit d'être un homme, un vrai, et que cette nuit-là, il a humilié une femme. Son amie.
Elle se retourne, s'affole et accélère le pas. Scorpius la rattrape rapidement et lui agrippe le bras, la forçant à se retourner. Face à face. Les yeux dans les yeux. Scorpius n'arrive pas à trouver les mots. Elle a le regard dur, haineux. Honteux, également. Triste et colérique. Surtout triste. Scorpius se rend soudainement compte que pendant quatre mois, il n'a pas seulement merdé sur le plan d'un certaine dépression, mais également sur l'amitié. Il n'a pas été capable de remarquer la détresse de la Diggory, trop perdu dans ses propres plaintes. Il n'a même pas été assez attentif pour remarquer qu'elle n'est aujourd'hui rien de plus qu'une prostituée. Que chaque soir, elle vend son corps à des inconnus. Qu'elle a perdu toute prestance féministe. « Hestia, il faut vraiment que tu m'écoutes, j'ai besoin que tu m'écoutes... » Ses besoins avant tout, comme toujours. Comme d'habitude. Un égocentrisme que Scorpius traine depuis sa naissance, sans réellement s'en rendre compte. Peut-être qu'Hestia aussi, a besoin qu'on l'écoute. « Je... Je ne sais pas ce qu'il m'a pris, cette nuit-là, je t'assure, je ne sais pas... » Il ne sait pas quoi dire de plus, les justifications sont idiotes, inutiles. Rien ne peut expliquer son comportement. « Je suis désolé. » Parvient-il à conclure.