peu à peu je me déglingue

mais qu’il est faux ce bel accord, il grince avec nos dents, mais qu’il est fourbe ce corps à corps, il m’a pincé jusqu'au sang.

angoissé. des mois et des mois, des années, dans sa tête, ça ressemblait même à des siècles. l'angoisse omniprésente, à ses côtés. elle l'étouffe, peu à peu elle l'emporte. il vagabonde, va là où ses pas le mènent, ne sait plus vraiment où il est. perdu et angoissé. comme un petit enfant qui ne retrouverait plus sa mère, son esprit s'embrouille, plus rien n'est clair dans sa caboche, il suffoque. sa respiration se fait difficile, mais ça devient commun maintenant. il n'y fait même plus attention. ce poids sur lui. en lui. il ne sait pas vraiment ce qu'il se passe, n'arrive pas à comprendre. personne ne peut comprendre, pas même sibel. il est pourri, fini et foutu. pas étonnant, c'est albin après tout. c'est pas lui le garçon qu'on prendrait comme modèle d'équilibre. on a rarement vu aussi instable.
et pourtant. pourtant il essaye d'aller mieux. parfois ça fonctionne, parfois il réussit à sourire et faire comme si tout allait bien. parfois il fait des efforts. pas pour faire plaisir aux autres, parce qu'il est aussi un peu égoïste albin. non, pour lui, et pour sibel aussi. il le sait que ça la tue de le voir comme ça. elle lui a dit un jour, de se bouger le cul. alors il le fait. il se bouge le cul, là, maintenant.

c'est devant chez albus qu'il se retrouve, les yeux qui brillent, le nez rouge, les cheveux un peu fous, comme toujours. il ne sait même pas vraiment pourquoi il est venu jusqu'ici. il ne devrait pas voir albus dans cet état, c'est mal, ça n'arrangerait pas les choses. il est trop perdu, trop peu certain de ce qu'il se passe avec lui. c'est une erreur de venir ici et il allait le regretter, il le sait. mais merde. juste merde. pour une fois, il allait agir. pour une fois, il allait faire face au problème et essayer de comprendre. il n'allait pas laisser passer les choses, rester inerte comme la pauvre chose qu'il est devenu et attendre que tout s'arrange tout seul.
il ne voulait pas être ça. ce corps sans vie qui avance sans réelle conscience. qui ne fait qu'observait ce qui se passe devant lui.

il toque, trois fois. il est conscient de tout, contrairement à d’habitude. de la sensation irritante du bois de la porte contre ses doigt, de ses yeux qui le piquent, de l’éraflure qu'il s'est faite ce matin en se cognant contre sa table. il trouve tout ça assez désagréable, il n'est pas au meilleur de sa forme, mais tout ça il le ressent. enfin. et ça le fait sourire.
et la porte s'ouvre. il ne sait pas depuis combien de temps il est là et il s'en fout un peu à vrai dire. la porte s'ouvre, il voit albus. et il sait pourquoi il est là, alors il sourit, encore.
« salut, albus. »
l'angoisse revient, légèrement. il la sent s'infiltrer, remuer en lui, mais il n'y fait pas attention. il n'a pas le droit de craquer maintenant.

peu à peu je me déglingue

mais qu’il est faux ce bel accord, il grince avec nos dents, mais qu’il est fourbe ce corps à corps, il m’a pincé jusqu'au sang.

froid, distant. il dirait même agressif. albin ne comprend pas. qu'a-t-il fait de mal ? pourquoi il est comme ça, albus ? « pourquoi. pourquoi t'es là. » il fronce ses sourcils. pourquoi il est là, oui ? qu'est-ce qu'il est venu foutre ici. apparemment, il n'est pas le bienvenu. il ne sait pas. perdu, un peu plus, encore une fois. l'angoisse se fait un peu plus forte. il regrette déjà. ses quelques convictions s’effondrent, il ne sait pas quoi faire. c'est pas n'importe qui, là, face à lui. c'est albus. il ne pourrait pas dire ce qu'ils sont, il n'a jamais vraiment su. ça aussi, il ne le comprend pas. il a l'impression de ne plus comprendre grand chose ces derniers temps, encore mois quand ça concerne albus. « je... hm. je.. » tu quoi, albin ? pitoyable, encore une fois. il perd ses mots, bafouille. ridicule. ses pensées s'emmêlent, plus rien n'a de sens. stop. une grande respiration. une deuxième. « pourquoi je pense à toi quand ça va pas. tu m'as fait quoi. empoisonné ? ensorcelé ? je suis pas comme ça. je ne suis pas ce mec-là. » dans la tête d'albin, tout s'écroule. il est censé lui répondre quoi ? il ne sait même pas ce qu'albus tente de lui dire. il l'accuse. pourquoi il l'accuse, de quoi ? albin n'a rien fait. pas cette fois. pas encore. alors pourquoi on lui crie dessus ? qu'est-ce qu'ils ont tous, à s'en prendre à lui quand ils vont mal ?

son coeur bat. vite, trop vite, mais il bat et c'est déjà ça. et il s'énerve, au lieu de s'écraser. c'est ce que sibel lui aurait dit de faire. c'est ce qu'elle lui dit tout le temps, de s'affirmer, de dire les choses. c'est pas un jouet albin. faut arrêter de le prendre pour un con. « je peux savoir ce que j'ai fait, albus ? de quoi tu m'accuses, hein ? pourquoi tu joues au con ? » ils sont proches, plus que d'habitude, plus qu'il n'est normal, mais albin n'y fait même pas attention. il veut savoir. parce que ça le tue de voir albus comme ça. ça le rend triste, et ça l'énerve. il veut pas de ça avec albus, albin. tout allait bien la dernière fois qu'ils se sont vus, et même s'il a du mal à contrôler les choses bizarres qui se passent en lui quand il le voit, quand il est avec lui, il veut pas que tout s'arrête comme ça. sur une dispute. sans aucune raison. « j'ai jamais voulu te faire de mal albus. je comprends pas. dis-moi. » il a presque envie de toucher sa joue, gentiment, mais il se dit que non. ça serait une mauvaise idée, là maintenant. pour lui surtout. toutes ces sensations, toutes ces émotions qui lui arrivent en pleine face, sans prévenir, sans qu'il ne sache pourquoi, il ne se les explique pas. ça ne lui avait jamais fait ça auparavant. avec personne. alors pourquoi là, pourquoi lui. il a rien demandé albin. il a jamais voulu ça. c'est trop compliqué pour lui, ça lui fait peur. c'est un enfant albin. il n'y touche pas à l'inconnu, c'est bien trop dangereux. c'est pas pour lui.

peu à peu je me déglingue

mais qu’il est faux ce bel accord, il grince avec nos dents, mais qu’il est fourbe ce corps à corps, il m’a pincé jusqu'au sang.

la meilleure façon de comprendre albin, c'est d'imaginer une plaine, disons. une grande plaine. quelque chose de démesuré. et puis vide. au centre, placez-y un enfant, seul, désorienté. au regard affolé, désespéré, à la mine triste et grave. l'enfant, plutôt intelligent pour son âge, comprend sa situation mais dans la panique est tétanisé. inapte à penser à une quelconque solution pour s'en sortir. il se recroqueville, et replié sur lui-même, il sait qu'il est tout simplement incapable de s'en sortir.
ça, c'est albin quand un problème se pose à lui.
ça, c'est l'enfant terrifié, le petit garçon dans un corps de grand, paralysé par la peur de ne pas bien faire. de mal agir.
ça, c'est lui, en ce moment même.

le regard accroché aux lèvres d'albus, il attend. un mot, juste un mot. quelque chose. l'enfant qui attend d'être puni, persuadé d'avoir fait le mal, encore une fois. « arrête. » il veut bien, albin, mais arrêter quoi ? les questions l’assomment, il a l'impression qu'on lui creuse méchamment le cerveau. tu penses trop, albin. ses dents massacrent peu à peu sa lèvre inférieure, fâcheuse habitude qu'il a depuis qu'il a appris à s'inquiéter. il a envie de crier albin. de lui hurler à la figure tout ce qui lui fait mal. tout ce que lui, lui fait. puis tout s'arrête. il n'est plus là albus, il le sent plus qu'il ne le voit. « laisse tomber. je suis stressé depuis quelques jours. » mensonges. ça crève les yeux. pourquoi. pourquoi il ment comme ça. pourquoi il lui explique pas. pourquoi il dit pas les choses, pour une fois. pourquoi, pourquoi, pourquoi. les mensonges ça le bouffe de l'intérieur albin. parce qu'il s'est toujours menti à lui-même, parce qu'il s'est toujours caché, parce que la vérité ça fait mal, ça fait peur. alors il ne peut pas supporter plus de mensonges. « je dis vraiment n'importe quoi. n'y pense plus. t'as rien fait. » et il le rassure, c'est ce qu'on fait aux enfants après tout. « d'accord. » il cède, renonce à aller plus loin. il ne veut pas se battre, pas maintenant, pas pour ça. on verra plus tard.

il suit le garçon sans réellement faire attention à ce qui l'entoure. ne dit mot. perdu dans ses pensées, perdu dans sa tête, il tente de résoudre le problème qui se pose à lui. complexe, dérangeant, inhabituel. albus. il n'ose pas bouger, mal à l'aise dans son corps autant que dans sa tête, torture sa pauvre lèvre encore une fois. « qu'est-ce que tu fais là, alors ? je n'ai plus de thé, tu m'excuseras. » qu'est-ce que tu fais là albin ? il n'en sait trop rien à vrai dire. il ne peut pas lui répondre qu'il est arrivé jusqu'ici sans y penser, qu'il a laissé ses jambes faire le travail pendant que lui se promenait dans sa petite tête absurde et envahie de mauvaises pensées. mentir. c'est mal, ça lui fait mal, il ne veut pas mais c'est la solution la plus simple. « je... je voulais juste prendre de tes nouvelles. ça fait un moment, non ? enfin, je crois. » ses mots ne veulent rien dire, il s'enfonce. des lettres alignées les unes après les autres. on pourrait presque croire qu'il ne sait plus communiquer albin. ou qu'il ne veut plus. pourtant il a toujours su bien mentir. on le croit facilement le garçon, étrangement. c'est de famille apparemment. mais là ça sonne faux, ça sonne vide. c'est sans grand intérêt ce qu'il dit. « tu vas bien ? en ce moment je veux dire. t'as pas l'air en forme. » il s'inquiète. il ne veut même pas savoir pourquoi, il se sent ridicule. il ne s'inquiète pas habituellement. juste pour sibel. toujours pour sibel. pas pour les autres, pas pour lui. alors pourquoi maintenant ? il ne se sent pas à sa place, debout comme un idiot à attendre une réponse du garçon qui lui mentira certainement. alors il s'assoit, parce que dans l'immédiat c'est la seule chose qu'il puisse faire pour se rassurer.