take our hearts like thieves

ariane & ambrose ⊹ 

Londres, le 2 novembre 2030,

Deirdre,
J'apprends aujourd'hui les nouvelles au fil des pages des journaux. J'ignorais jusqu'alors quel mal avait frappé ta mère, sache cependant que mes pensées sont avec vous.
Je ne sais qui aura cru bon de céder ces informations à la Gazette en l'échange de quelques mornilles, j'imagine sans nul doute quelle peut être ta colère devant ce manque de savoir-vivre, qui n'a pas manqué de ranimer chez moi quelques douloureux souvenirs à cette découverte.
Ne t'inquiète pas à ce propos, il ne devrait plus y avoir le moindre article concernant ta famille d'ici les jours à venir. Dora était tout autant offusquée d'y découvrir ces quelques mots, volés dans la souffrance, affront laissant un goût amer. Nous nous occupons de cette affaire, inutile que cela te préoccupue davantage.

Semblerait-il qu'un tel contexte soit nécessaire pour arracher quelques mots à ma plume. J'aurais aimé le faire plus tôt, dans d'autres circonstances. Pour ton anniversaire. Je ne savais cependant s'il était convenable de t'envoyer une lettre, ni s'il serait plaisant pour toi de la lire. Si les mêmes questionnements se sont imposés à toi, l'an passé, à cette même époque, lorsqu'il s'agissait du nom de mon père en première page des journaux. Sali, toujours, respecté, jamais, pas même dans l'ultime instant. Si c'est la raison pour laquelle finalement, l'attente d'une lettre se révéla vaine, naïve, peut-être. Sans doute était-ce mérité. Peut-être était-ce inconsidéré d'imaginer que tu te manifesterais, sans m'être manifesté depuis toutes ces années. Je ne le sais pas encore à ce jour.

Je n'attends nulle réponse de ta part. S'il t'en est gré, cependant, écris moi quelques nouvelles lorsque le temps te le permettra. Embrasse ta mère pour moi. Prends soin d'elle. De toi. Je n'ai cessé de

Le papier s'était retrouvé froissé entre ses doigts tremblants, incapables de rédiger un mot supplémentaire. Ses yeux avaient parcouru les lignes, encore et encore, la lecture se révélant presque aussi insurmontable que la rédaction des quelques phrases qui couraient sur la lettre. L'effort l'avait éreinté, se faisant violence toute la soirée pour assembler les mots, les aligner convenablement. Impossible de l'achever. Il avait creusé un peu trop pronfondément sa poitrine délabrée, tentant d'y retrouver un chemin sans risquer d'en effondrer les derniers fondements. Il s'était perdu sur les sentiers sinueux qui happaient un peu plus encore d'énergie à chaque nouvelle tentative, sans y trouver le courage suffisant. Ce courage qu'il n'avait jamais eu, lorsqu'il était question de sentiments.

Pliée soigneusement en quatre, suffisamment pour trouver sa place dans la poche de sa veste, l'homme n'avait pas brûlé la missive immédiatement. Il aurait été si facile de la réduire en cendres, et de la disperser aux quatre vents, comme toutes celles qui avaient précédé. Il s'était pourtant laissé une dernière chance. Maigre espoir teinté de la certitude de ne jamais poursuivre ses écrits. Quelques heures pour réfléchir. Dans la vaine attente de l'instant de témérité qui délierait ses doigts. Ses pas foulant les allées du Ministère. L'entraînant dans les couloirs, sans oublier cette lettre qui pesait si lourd dans sa poche, entravant ses mouvements, parasitant ses pensées. L'attirant de plus en plus près du gouffre que renfermaient ses côtes, prête à l'y laisser sombrer. Les heures s'étaient écoulées sans accroc supplémentaire, laissant défiler la journée. Le sorcier était nerveux, bien plus que d'habitude. Certainement la raison pour laquelle il n'avait pas prêté attention à cette fille qui l'avait bousculé au détour d'un couloir, manquant d'éparpiller tout ce qu'elle portait dans ses bras. Il l'avait aidée à ramasser, distraitement, marmonnant quelques paroles sans réellement lui prêter davantage d'attention. Bien vite, la chevelure flamboyante avait disparu de son champ de vision. Emportant avec elle ce qui pesait si lourd dans la poche de sa veste. Emportant avec elle les quelques fragments du coeur du Travers jetés au hasard sur la page grise. Quelques dizaines de minutes avant de s'en apercevoir, les pas foulant les dernières marches menant aux toits de l'édifice. Lorsqu'une main portée au tissu n'y rencontra que du vide. Surpris tout d'abord de ne pas y retrouver cet étui à cigarettes qu'il y gardait toujours rangé. Fouillant avec davantage de véhémence en réalisant qu'il n'y restait plus rien. La colère ronronnait au fond de ses tripes. Patientant tranquillement. Attendant l'instant propice pour commencer à se distiller dans les veines rigides du Travers. Le fil des dernières heures s'étirait dans son esprit, le laissant détailler le moindre instant d'inattention susceptible d'avoir laissé traîner ses biens quelque part. Et puis, la tornade rousse envahissant ses prunelles. Incendiant son crâne. Mâchoires crispées, dents grinçantes. Se remémorant les feuilles éparpillées. S'y était-elle perdue, glissant hors de sa poche lorsqu'il s'était penché poliment pour aider la jeune femme ? Sans doute pas. L'appréhension de s'être fait subtiliser des mots, de voir sa pudeur mise à mal. Une main tendue passée sur son visage, écrasant les traits tirés, achevant leur course en se refermant avec force sur le menton, à s'en brûler les os. Avant d'ouvrir à la volée la trappe si souvent empruntée, de se hisser sur les hauteurs. Le froid mordant de l'hiver crispant ses pores, un peu plus encore, sur ses traits de marbre. La flamme agitée par la brise du soir lui aparaissant dans la grisaille. Les glaces gelant son sang. Le papier déplié entre ses doigts fins. « Il me semble que cela m'appartient. » Le ton était ferme, le regard éteint. Ravalant la panique de se sentir mis à nu par l'inconnue. S'approchant tel un prédateur, de quelques pas habiles, maintenant une distance raisonnable tout en analysant la proie. L'insolente ayant osé s'immiscer dans l'intimité du Travers. L'énigmatique Travers. Elle en avait déjà bien trop sous les yeux. « Vous m'offrirez bien une cigarette, j'imagine. Après tout, il s'agit également des miennes. » Le jeu étrange des paroles filant entre ses lèvres serrées. Le calme tentant de s'imposer à lui. Le soulagement fugace de disposer d'une excuse pour ne plus se soucier de cette lettre.