folie balafrée

/dans la nuit, poussent des fleurs noires.

Londres se noie dans la nuit, sacrifiant sa superbe brumeuse au profit des premiers éclats du bel astre blafard. Dans la pénombre, une silhouette vagabonde : entre trottoir et bitume, elle glisse silencieusement sur les pavés gelés. Le vent l'étouffe de son étreinte austère, fillette enfoncée dans un châle touffu, ses lèvres crachent d'épaisses vapeurs sur des mains glacées tandis les yeux fouillent l'obscurité, la rétine aux aguets, ils parcourent les alentours en un bref instant. Elle ne voit pas, ne se doute pas de son imprudence. Loin des remparts immaculées de Sainte Mangouste, elle se blottit désormais, insouciante, dans la crasse des embrumes. Son visage servile se heurte aux faces hostiles et sinistres d'une population obscure ; parmi elle, un gaillard la défie d'un sourire édenté. Elle frisonne. Le pas s'accélèrent, la discrétion s'estompe, et les souliers claquent à présent le sol dans une course folle. Les mèches ternes de sa chevelure brutalisent ses joues rougies par la brise. Immobile désormais, ses doigts fileux coiffent la tignasse désordonnée. En face d'elle, une taverne, la couronne brisée : patricienne et misérable, noble et ruinée, les éloges calomnieuses ont mille fois été murmurées à son oreille. La môme sait. Elle sait que le sang a coulé, que les monstres se sont croisés et embrassés. Sublime petite idiote, ne sent-elle pas l’opium des bas-fonds empoisonner ses narines juvéniles ? Fausse intrépide, sa main tord la poignée crasseuse et là voilà, pénétrant dans la gueule noire du diable.

Un brouhaha familier escorte son entrée, trois hommes hurlent dans le silence lugubre de l'antre. Un autre vient lui coller un humide baiser bien trop près des lèvres tandis que ses paumes baladeuses jouent un instant avec les courbes risibles de la nouvelle arrivée. Semble-t-il qu'il reconnait la poupée qui se prétend habituée. Aussi austère que le lieu qui l'abrite, la fillette passe les ombres des sorciers soulards pour finalement laisser poser son bassin sur le bois cagneux d'un escabeau. Assoiffée, Morgause laisse son gosier se délecter de l'aigreur des boissons proposées. Un verre après l'autre, chaque parcelle de sa peau, chaque recoin de sa bouche pue et transpire l'eau-de-vie. Les minutes passent, la liqueur prend peu à peu possession de ses membres, puis la grande aiguille finit par faire le tour du cadran. Une heure qu'elle attend, et finalement, l'autre arrive.

Elle prend son courage à deux mains la gamine. Que c'est imprudent, pour ce ridicule jouet de s'avancer, téméraire, volontaire, vers la bête qui peut la dévorer. « Björn Goyle ? » Les syllabes trébuchent, le sobriquet peine à se faire prononcer. Faiblarde de corps, faiblarde de gorge, elle regrette son prologue miséreux, rêve d'un retourneur de temps, d'un sablier à renverser. « J'ai une proposition, un emploi pour vous. » L'homme ne lui est pas inconnu, il est de ceux que l'on croise, sans jamais désirer approcher, un gabarit hostile, des prunelles animales. Sa carcasse tout entière transpire la force et l'effroi et puis, à côté, il y a Morgause. Chétive petite Morgause, seulement armée de sa baguette et de ses ossements fragiles, elle veut jouer à la forte, elle veut jouer à la grande.

L'eau du lavabo fait disparaître le sang qui couvrait les mains de Björn. Il déteste travailler à la couronne brisée, il n'aime pas cet endroit, trop malsain, aussi malsain que lui, si ce n'est plus, il n'aime pas ceux qui le fréquentent, ce qu'il représente, avec ses toilettes dont les odeurs pourraient presque réveiller un cadavre. Presque, seulement presque car il vient d'en avoir un, quelques secondes auparavant, à ses pieds, avant que Björn ne le fasse passer par la fenêtre avec dextérité. Ce n'est pas la première fois que Björn tue ici, mais l'odeur de pisse est dérangeante et totalement moins agréable que celle du sang frais, de la mort. Son reflet lui revoit un sourire, un sourire satisfait, même heureux, celui de toucher la mort, de saisir l'opportunité de la voir si près, d'en être le maître. Maître de la terreur, maître de la mort. Il quitte la puanteur des toilettes pour se mêler à celle de la foule, à ce gros bruit ambiant, à la limite de l'insupportable, pour rejoindre la table d'un homme, dont la jambe tressaute, l'esprit sans doute préoccupé par des tas de questions, trop de questions. Björn peut voir en lui, peut en chacun de ses clients. Et si ça échouait, s'il n'était pas le plus fort, s'il ne s'agissait que d'une mascarade, et s'il le dénonçait? Björn s'assoit avec un calme totale, masquant l’homicide qui vient d'être commis. « Il est mort? »  Le tremblement de sa voix, l'inquiétude est à son summum. Il ne la masque pas, comme Björn ne masque pas le rictus moqueur qui orne le coin de ses lèvres. Tant qu'il a l'argent, peu importe la fierté, peu importe les bonnes apparences, ni l'un ni l'autre ne s'en préoccupent. « Vous pourrez le voir à l'arrière de la taverne. » Il n'ira pas vérifier, c'est certain, il n'ira pas voir le cadavre, il n'ira pas voir son collège, son ami, son ennemi d'antan avec la tête écrasé par le poing de Björn, il n'ira pas voir son oeuvre dont le mercenaire n'a été que l'instrument. Il glisse une enveloppe sur la table en direction de Björn qui hoche la tête après l'avoir ouverte et jugée son contenu, l'homme disparaît loin de lui, s’affairant si rapidement vers la sortie.

« Björn Goyle ? » Impossible d'être tranquille. Il lève la tête vers la voix chevrotante d'enfant qui s'adresse à lui. Une gamine, tremblante, pas à sa place, avec de faux airs de princesse, cherchant l'aide du diable. « J'ai une proposition, un emploi pour vous. » Il sourit, en lui-même, cette soirée est enrichissante, comme chacune qu'il passe à la couronne brisée. Les occupants de la taverne ont le cœur rempli de sombres désirs, désir que ce qui les dérange tombe à ce combat qu'est la vie, d'être libéré des gêneurs, chaque humain a ses ténèbres, même les gamines parfaite ont leur propre part d'ombre qu'elle s'engage à dissimuler, mais pas à Björn, à Björn, ils ne cachent rien, tel est le contrat entre Björn et ses clients, une révélation en échange d'un service que personne d'autre que lui ne rendra. Avec son pied, il tire une chaise face à lui. « Posez vos fesses. » Il allume une cigarette qu'il amène à ses lèvres. Il la jauge d'un regard malsain, petite chose fragile, elle ne vient pas pour un meurtre, il est rare, trop rare que ce genre devienne cliente pour ce qu'il y a d'aussi violent, trop de remords, trop de reproches pour souhaiter faire couler tant de sang, seulement des histoires futiles mais qui rapportent de l'argent, toujours moins qu'un meurtre. « Alors, un copain à tabasser? » Il fait figure d'exemple, de galanterie, avec la distance qu'il maintient entre eux, son désir avide de sang, face aux hommes qui l'entourent, tenant à peine debout, se collant à tout ce qui est féminin avec autant de charme qu'un troll. Un prince violent, meurtrier, sans scrupule, presque charmant, diabolique.

folie balafrée

/dans la nuit, poussent des fleurs noires.

« Posez vos fesses. » Brave gosse, elle obéit. Echine voutée, jambes en tailleur, elle se défait finalement de son écharpe et de son manteau, les dépose au dos de sa chaise, et dévoile maladroitement quelque bout de chair, on aurait dit une écolière : mais où sont tes parchemins et ta plume ? Face à elle, le visage de la bête se confond dans la fumée ; les arômes de tabac vient titiller le bout de son nez.  « Alors, un copain à tabasser ? » Téméraire, imprudente, la main de la sorcière chemine jusqu’aux babines du grand méchant loup ; l’index et le pouce se blottissent autour de la cigarette et la dérobent. « Pas exactement. » Un nuage toxique s’échappe des narines de l’écervelée, puis un autre, et encore un autre, ce, jusqu’à faire empester, langue, gorge et lèvres. « Combien pour me cogner ? »  De l’argent facile, une victime consentante. Morgause fait s'agiter une brouse près de l’homme bestial, dedans, des gallions, preuve du sérieux de la demande. Les iris ambrées accrochent les prunelles d’azur : attentives, elles cherchent à y déceler une quelconque émotion. Surprise, hilarité, à chaque réaction, une parfaite riposte mille fois répétée. Ce soir, elle n’acceptera pas le moindre refus, prête à supplier, si le plan échoue, ses manières iront agacer le premier ivrogne que sa rétine percutera. Néanmoins, la satisfaction sera moindre. Sans jamais avoir senti leur force, la fillette s’est déjà entichée des poings de Björn Goyle. Elle a observé les phalanges, s’est prise de passion pour la dureté des paumes. Le crâne divague, fantasme les coups, leur violence, leur hargne animale ; les marques s’inventent peu à peu sur le délicat corps satiné de la poupée. Bleues, violette, vertes, une bien belle palette qui se mêle à un vermeil ensanglanté.  

Sombre délire,
névrose d’une détraquée.
La cliente souhaite sentir l’artiste déposer son art sur la toile vierge de sa propre peau. A la manière d’un tatouage, à la manière d’un anneau métallique soudé à l’arcade. Au loin, une voix hurle. Pleine de jugeote, sa mâchoire intérieure se tord et supplie Morgause de rebrousser chemin. « Le but n’est pas de me tuer, ni de m’assommer. » Les mots défilent, glissent doucement entre la langue et le palais, les syllabes sont prononcées au rythme du cœur qui martèle, toujours avec plus d’ardeur la cage thoracique. « Je veux rester consciente. » Les mains fouillent les poches, un papier froissé sur lequel sont gribouillés un chiffre et deux mots, apparaît. « Et, uniquement en cas de problème, vous me déposez à cette adresse. » Ce n’est pas l’hôpital. 28 burbage road. Lucas ne pose pas de question, Lucas n’ouvre que rarement la bouche, il sait ignorer l’évidence si on ne souhaite pas la voir s’étaler. « Alors, nous avons un accord ? » La tirade s’achève ; on devine les répétitions, cette fois aucun  tressaillement, uniquement une assurance mimée avec conviction.

Il ne s'intéresse pas à elle, il ne l'observe pas, il ne la regarde pas. Elle est ennui, une adolescente, rien de plus, qui a fini par se retrouver à cette table, avec le démon, lui proposant un service pour mettre du piment à sa petite existence futile. Les yeux de Björn se concentrent uniquement sur la fumée qu'il laisse échapper, jusqu'à ce que la cigarette se dérobe de ses lèvres. « Pas exactement. » Audacieuse petite qui commence à attiser la curiosité du Bjorn. L'oeil du diable sur la fumée s'échappant des narines de l'ange. « Combien pour me cogner ? »  En fronçant les sourcils, il lui arrache la cigarette pour la disposer à sa place d'origine, entre les lèvres du Björn. Il la scrute durant quelques longues secondes, cette enfant qui compte sur lui pour la faire souffrir. Peut-être espère-t-elle de la pitié, qu'il la ramènera à la raison, qu'il fera preuve de bonté avec cette poupée brisée. Mais Björn attrape la bourse qu'elle lui tend, après avoir jeté un oeil à son contenu, il fait glisser plusieurs dizaines de pièce en dehors du sac sur la table qui les sépare, les range dans sa veste puis rend ce qu'il reste à la petite. « Ce sera suffisant. » Ses phalanges qui craquent, prêtes à passer à l'action.  « Le but n’est pas de me tuer, ni de m’assommer. » Recul, hésitation, lui faire confiance, se méfier. Est-ce raisonnable de mettre sa vie entre les mains d'un mercenaire, d'un tueur à gage? « Je veux rester consciente. » Björn se marre, ne pouvant plus retenir un fou rire, crachant un nuage de fumée. Plus que de rester consciente, le message est qu'elle veut souffrir, elle veut sentir les mains solides de Björn frapper sur son visage avec force, sans que ses yeux ne se ferment, sans que son cerveau ne s'endorme, elle veut ressentir la douleur que lui procureront les poings de Björn frappant sur sa face. « Il faut se faire soigner. » Ce n'est pas un refus, il a pris l'argent et ne dis jamais non à un travail, n'aura jamais aucun remord, mais rien ne l'empêchera jamais de se moquer du désespoir de certains clients, en particulier de celui de la poupée masochiste.  « Et, uniquement en cas de problème, vous me déposez à cette adresse. » En cas de problème? Dans le cas où il finirait pas l’assommer, à force de coups. Il ne fait pas taxi, si elle n'est pas en état de rentrer chez elle, il la laissera se débrouiller, seule. Il n'est pas payé pour jouer le prince charmant, pour lui offrir le réconfort d'un ami après l'avoir tabassée. 28 burbage road.  Björn connait, Björn sait où elle espère qu'il l'ammènera, chez Lucas, Björn n'occupe pas une grande place dans le coeur de l'auror, il serait absolument ravi de voir Björn débarquer chez lui avec une amie blessée, le visage sanglant, l'oeuvre de la douceur de Björn.

« Alors, nous avons un accord ? » Avec un demi-sourire, Björn hoche la tête, jetant la cigarette contre le sol pour l'écraser sous la semelle de ses bottes. « Allez, debout! » Il l'attrape par le bras, sans aucune férocité, il en fera suffisamment preuve dans très peu de temps, pour l'éloigner de la table jusqu'à un coin plus sombre, surtout plus isolé. Il déteste travailler à la lumière, sentir les regards sur lui, le jugement qu'on porte si aisément sur sa personne ou davantage sur ceux qui viennent lui proposer un emploi. Le dégoût de cette violence payante. Irrespect total pour des êtres infâmes qui fréquentent un lieu infâme, aucune gloire. Il fait face à la victime, pauvre petite chose à la recherche d'un peu de souffrance. « Prête? » Il lui manque l’adrénaline, savoir qu'il ne sera pas attendu, le son de la voix de sa victime le suppliant de l'épargner. Sauf que sa victime se tient droite, presque calme, attendant son châtiment, sans vraiment bouger, elle est là de son plein gré, elle a payé pour. Il y a quelque chose de malsain là-dedans, dans cette demande de la frapper, dans sa cliente qui joue le rôle de la victime. Regard intense, les yeux de la passion de la violence, et un poing fermé qui arrivent rapidement et férocement en direction du visage de la gamine, une fois d'abord, puis une deuxième, une cinquième. Son nez et ses lèvres saignant, sa peau qui commence à gagner des teintes violettes et Björn dont le sang de la victime dégouline le long de ses doigts. Il veut encore, encore, encore frapper, jusqu'à ce qu'elle tombe inconsciente.